L'histoire du surf de Cyril Thèvenau

Cyril Thèvenau, l’homme de la mer

Homme libre, toujours tu chériras la mer… Ces vers du poète Charles Baudelaire s’appliquent admirablement bien à Cyril Thèvenau ! Né à l’île Maurice en 1953, il a toujours vécu au rythme de l’océan Indien et de ses houles capricieuses qui viennent terminer leur course sur les barrières de corail protégeant le littoral.

Dès son plus jeune  âge, il s’adonne aux plaisirs de la mer. Entraîné par ses parents, il affronte à la nage les vagues de la baie de Tamarin. Les premiers navigateurs surent se méfier de l’aspect faussement paisible de cette baie du littoral sud-ouest, abritée mais ouverte aux caprices des houles.

Des familles mauriciennes avaient choisi le sud-ouest, la côte sous le vent, pour y établir leur résidence secondaire. La famille Thèvenau, elle, y a élu domicile. Le climat est sec, la pêche est bonne et, les jours de houle, les baigneurs vont défier les vagues de la baie, en faisant du body surf à l’aide d’une planche en contreplaqué… 

Cet art de nager dans les vagues était déjà un rituel ancré dans les traditions des peuples du Pacifique depuis plusieurs siècles. Cette activité rituelle se transforma en discipline sportive à partir de 1912 grâce à Duke Kahanamoku, champion de natation américain, d’origine hawaïenne.

Après la Seconde Guerre mondiale, le surf va exploser aux Etats-Unis, en Californie d’abord, puis en Australie, dans le sud-ouest de la France, ou encore en Afrique du sud. Maurice va découvrir le surf en 1962, d’abord avec Joël de Rosnay, un Mauricien établi en France, qui est le premier à surfer à Tamarin. Puis, les premières planches sont importées d’Afrique du sud ou d’Australie par Serge Koenig, l’un des premiers surfers de Tamarin. Et les locaux se mettent à « marcher sur l’eau »… Mais le sport reste encore confiné à un petit groupe de mordus. Il s’ouvrira peu à peu à partir de la fin des années 60.

Cyril Thèvenau est alors un adolescent. Avec ses copains du même âge, Albert Koenig, Jean-Claude Staub, Louis Paul Maujean et Jean-François Rey, ainsi que son frère Jean-Marc, ils admirent de loin leurs aînés surfer dans la baie de Tamarin, les considérant un peu comme des demi-dieux. Quand les plus grands sont au travail, les plus jeunes empruntent discrètement des planches. Celles-ci étaient de volumineux longboards que Cyril et ses copains transportent sur leurs têtes jusqu’à la plage, depuis la remise d’un bungalow situé à l’emplacement qui sera occupé, par la suite, par le Tamarin Hotel…

Cyril devra attendre 1971 et la venue à Tamarin d’un groupe de surfers australiens et sud-africains, pour faire l’acquisition de ses premières planches. Les planches passent de mains en mains, se revendent pour en financer l’achat d’autres. Pour Cyril et ses amis, c’est une période de découverte, excitante, faite de partage dans les vagues et de solidarité face au danger. Ils n’hésitent pas à s’aventurer sur les spots du sud de Maurice, au Morne ou à la Baie du Jacotet.

Le monde du surf lui aussi découvre Tamarin. L’Hawaïen Joey Cabell, déjà champion du monde en 1964, et probablement l’un des surfers les plus complets de ce début des années 70, vient se mesurer à la gauche de Tamarin, surnommée Dal. Accompagné de Larry et Roger Yates, de Greg Weaver et Spider Wills, spécialistes des films de surf, ils tournent Forgotten island of Santosha. Cyril Thèvenau y apparaît quelques secondes, surfant un beau rouleau sur le récif de Tamarin. On est alors en 1972. Le film met Maurice sur la mappemonde du surf et Cyril devient célèbre dans le milieu du surf local.

Dans les années 70, une vague de hippies surtout des Australiens et quelques Californiens, déferle sur Tamarin. Il y a alors de plus en plus de monde sur la gauche de Dal. Il faut attendre patiemment les entrées de houle qui daignent remonter jusqu’à la baie de Tamarin seulement 50 ou 60 jours par an. Pas de quoi satisfaire l’appétit d’un Cyril Thèvenau avide de vagues. Pendant l’hiver 1974, Jacques « Bereck » Lustrat et Frank Arnaud, des amis réunionnais, lui font découvrir la gauche de St Leu, sur le littoral sud-ouest de La Réunion…

Dans les années 70, il y avait très peu de surfers à La Reunion. La plupart d’entre eux étaient regroupés autour de St Gilles. Lorsque Cyril se rend à l’île sœur, il ne se limite pas à la station balnéaire du littoral ouest et découvre le chapelet de spots qui s’étend jusqu’au sud. Il décide finalement de quitter Maurice, surtout pour profiter de l’intensité du surf à La Réunion où les entrées de houle sont beaucoup plus fréquentes qu’à Tamarin. Commence alors une nouvelle vie pour le jeune Mauricien, mais au centre de laquelle il y a la même passion : le surf.

Cyril s’installe à St Leu en 1979, d’abord chez son frère Jean-Marc qui y habite depuis 1972 et auquel il avait plusieurs fois rendu visite. Il se régale sur la gauche qu’il avait surfé en 1974 déjà. Le surfer mauricien devient la coqueluche des locaux qui l’ont vu dans le film Santosha… Ils lui empruntent des planches, se renseignent sur les dernières tendances… L’idée lui vient alors de surfer sur cette vague de popularité et d’ouvrir un magasin spécialisé en matériel de surf et en surfwear.

Le premier surf shop de La Réunion voit le jour en 1982 dans un petit local de 18 m2. Il est situé à St Gilles, sur la plage des Roches Noires. Cyril est soutenu dans sa démarche par l’Australien Bruce Raymond, l’un des patrons de Quiksilver, marque de référence du surf mondial. Il représente aussi Rip Curl pour les combinaisons et Ocean & Earth pour les leashs. Ses planches sont fabriquées par le Sud-africain Spider Murphy. Mais Cyril n’arrête pas de surfer pour autant. Il écume les vagues, la gauche de St Leu surtout, mais aussi Etang Salé, Hermitage et même la baie de St Paul par gros temps…

Dans les années 80, il y a un boom du surf à La Reunion. De plus en plus de jeunes se jettent à l’eau, des clubs voient le jour, le niveau monte. A Tamarin aussi, le surf prend une nouvelle tournure, les comportements évoluent, on veut être plus radical, prendre plus de vagues que l’autre, ce qui n’existait pas de façon aussi marquée dans les 70’s. L’esprit de partage, ce surf spirit des débuts, s’évanouit. A La Réunion comme à Maurice, ceux qui contrôlent le spot, prennent les plus grosses vagues, dictent leur loi et font parfois régner la terreur. C’est le début d’un localisme agressif, plus marqué à Maurice qu’à La Réunion.

Cyril, lui, revient régulièrement surfer à Tamarin. Dès que la houle sature sur le spot de St Leu, il saute dans un avion pour retrouver cette gauche qui lui manque tant. En 1983, il réalise un rêve, celui de surfer à Hawaï. Il se rend, avec son pote François Xavier Maurin, à Pipeline, Sunset Beach, mais surtout sur les spots d’Haleiwa où il y a moins de monde. Puis, ce sont des surf trips en Australie ou en Afrique du sud. Bref, la vie de Cyril Thèvenau se résume en trois mots : surf, voyage et partage…

 

Au bout de douze ans de ce régime olympique, il se décide à agrandir son business et à ouvrir un magasin digne de ce nom. Mais il doit alors sacrifier sa passion pour faire tourner son affaire, car la concurrence est rude. Le petit local des Roches Noires est transformé en un vrai magasin, un surf shop, modèle du genre, qui porte le nom de High Surf. Cyril est alors contraint de passer de longues heures à faire tourner le business. Et au bout de quelques d’années, les efforts finissent par payer ! 

Mais l’appel de l’océan est toujours aussi fort. Plus qu’un terrain de sport privilégié ou un lieu de travail, la mer a toujours représenté beaucoup pour Cyril. Régulatrice de son humeur, elle contribue à son équilibre, l’apaise et le comble.

Finalement, le  métier de gérant de magasin n’étant pas sa tasse de thé, il décide de changer son fusil d’épaule. Ce qu’il veut, c’est transmettre son amour de l’océan, sa passion du surf, aux autres, surtout à la nouvelle génération. S’il est un excellent surfer, Cyril est aussi un fin visionnaire. En 2001, il vend son commerce et passe un brevet de moniteur d’Etat français. Il ouvre une école de surf sur le littoral ouest de La Réunion, à Trois Bassins, avec le soutien de son partenaire Quiksilver. Et ça marche à nouveau, à tel point que le moniteur veut toucher un plus grand nombre de surfers. Il ouvre alors la première école féminine de surf de France, et même d’Europe…

Mais comme tout Mauricien qui se  respecte, Cyril Thèvenau n’oublie ni son île, ni sa famille. Au milieu de la décennie 2000, il va aider son jeune frère Roger qui vient de lancer la première école de surf de Tamarin, en collaboration avec Cyril Michel, le patron du Tamarin Hotel. Il lui rapporte, de La Reunion, des planches de surf. La gauche de Dal continue d’attirer les surfers du monde entier, malgré un localisme exacerbé et la rareté des vagues. Une communauté d’expatriés prend racine dans le village, leurs enfants grandissent dans les vagues, veulent se frayer un chemin jusqu’au line up

Aussi, lorsque Roger doit cesser ses activités de moniteur en 2015, c’est Cyril qui va redynamiser l’école de surf de Tamarin. Car depuis 2011, les attaques de requins à La Réunion l’ont mis au chômage technique. Il y a un exode de surfers réunionnais et les écoles doivent fermer boutique. Après 33 ans à La Réunion, c’est le moment propice pour Cyril d’effectuer un retour aux sources.

A Tamarin, son école intègre rapidement les enfants du village moins fortunés. Il popularise aussi une nouvelle activité qui fait fureur : le stand up paddle. L’école est intégrée au nouvel établissement hôtelier entièrement rénové en 2018, désormais sous l’ombrelle du groupe Veranda Resorts, le Veranda Tamarin.

Pour Cyril Thèvenau, c’est encore un défi à relever. Ou tout simplement un autre cap à franchir, pour cet homme habitué à relever les défis et qui restera, à jamais, un enfant de l’océan…